L’oiseau roi, fatigué de battre de ses ailes
L’aérienne mer,
Sur le plus haut sommet des roches paternelles
S’endort près de l’éclair ;
La source du rocher trouve enfin la prairie ;
Philomèle un buisson ;
La diligente abeille une épine fleurie,
Et le pâtre un vallon.
Mais, moi, qu’ai-je trouvé dans mon triste voyage ?
Si ce n’est des déserts ;
Qu’ai-je vu du bonheur ? si ce n’est une image
Errante par les airs.
Convive inaperçu, sans nom et sans couronne,
J’ai tendu, mais en vain,
Aux buveurs enivrés dont l’essaim m’environne,
La coupe du festin.
Vers mon siège isolé nul n’a tourné la tête ;
Des dieux que j’invoquais
Nul n’a dit : « De nectar abreuvons le poète
Assis à nos banquets. »
Et lorsque quelques pleurs au refus d’un sourire
De mes yeux ont coulé,
Et que triste et muet j’ai regardé ma lyre,
Nul ne m’a consolé.
J’aurais dû le prévoir ! sur ma route déserte
Pourquoi chercher des fleurs ?
Mon ciel est orageux et ma tente est couverte
De funestes vapeurs.
Fleuve obscur dont la source est sur ces monts sauvages
Où mugit l’ouragan,
Solitaire j’irai par de mornes rivages
Vers le vaste océan.
Et pourtant à mon âme une image est présente
Suave de beauté,
De mes rêves d’enfant secrète confidente
Et douce déité.
Soit que se revêtant de sa robe étoilée
L’aube remonte aux cieux,
Soit que les pleurs du soir humectent la vallée
Aux bois mystérieux ;
Je la vois cette image errante comme un songe
Sous les pins odorants ;
Sur le rocher désert que blanchit et que ronge
La vague des torrents.
Je la vois au milieu des nuages d’albâtre
Qui flottent dans l’azur,
Sur les pliants roseaux et sur l’onde bleuâtre
Du lac tranquille et pur.
Que dis-je ? en ce moment est-ce rêve ou délire ?
Sous la voûte des bois,
Légère comme on feint le fabuleux Zéphyre,
Cette ombre, je la vois.
Oh ! viens être adoré, dont cette image vaine
Est un riant reflet,
Montre moi ton visage et tes tresses d’ébène
A l’ombre du bosquet.
Viens, le vent du midi n’effeuille pas les roses
De l’amoureux berceau,
Et les ombres du soir à peine sont écloses
Sous l’humide roseau.
Aimer, c’est le bonheur, viens ; passons, ma Sylvie,
Par le même chemin,
Nous franchirons tous deux les portes de la vie
En nous donnant la main.
Des fausse amitiés des heureux de la terre
Ne soyons point jaloux,
Comme un couple d’oiseaux errant et solitaire
Ne connaissons que nous.
Sous les lambris dorés que portent cent colonnes
Aux marbres transparents,
Que les perles et l’or brillent sur les couronnes
Des compagnes des grands.
La tienne n’offrira que les roses nouvelles
Que flatte le zéphir ;
Mais les rois de l’aurore en ont-ils de plus belles
Sous leur dais de saphir ?
Les profanes concerts, les champs dont les merveilles
Bercent l’ennui des rois,
Ne retentiront point à tes chastes oreilles
Sous nos rustiques toits.
Mais des cieux, chaque soir quand l’ombre vaporeuse
Aura noirci les bords,
Si tu veux écouter de ma lyre amoureuse
Les magiques accords,
Moins doux s’exhaleront de l’ombre du Méandre
Les sons mélodieux,
Et les chants qu’à sa mort le cygne fait entendre
Aux favoris des dieux.
Mais silence, quel bruit !sous la verte feuillée
C’est elle cette fois ;
Sans doute elle dormait, elle s’est éveillée
Aux soupirs de ma voix.
Non… c’est le tintement de la cloche sonore
Par l’écho reproduit ;
Rien en vient, et le jour pâlit et s’évapore
Dans le sein de la nuit.
O lyre ! c’est assez !... la douleur m’enveloppe
D’un lugubre sommeil,
Et je penche mon front comme l’héliotrope
Au coucher du soleil.
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Nota. Cette jolie pièce a été publiée par la GAZETTE DU BAS-LANGUEDOC, sans nom d’auteur.
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Ce texte est tiré de L’ECHO DES FEUILLETONS Recueil de nouvelles, contes, anecdotes, épisodes, etc. Par MM. J.-B. FELLENS et L.-P. DUFOUR. – Première Année – PARIS – Chez les Editeurs, rue Saint-Thomas-du-Louvre, 30, Près le Palais-Royal. 1841. P. 57-58.
Cet ouvrage numérisé est disponible à l’adresse ci-dessous :
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