Les chemins creux pleins d’ombre, entre les noisetiers,
Sont chers aux papillons, grands rôdeurs de sentiers,
Mendiants de parfums et pilleurs de corolles ;
Et les petits enfants, grands diseurs de paroles,
Dont la gaieté bruyante interdit les grillons,
Parfois, las de soleil, comme les papillons,
Vont cherchant la fraîcheur des chemins creux pleins d’ombre,
Là, des rayons perdus trouant la voûte sombre
Que forment les rameaux autour des troncs nerveux,
Illuminent leurs fronts et dorent leurs cheveux ;
Là, le sol est plus doux sous les mousses légères ;
En quête d’une source, à l’abri des fougères,
La souple demoiselle, au vol éblouissant,
De ses ailes d’azur les effleure en passant.
En secouant sur eux la neige de ses branches,
L’églantier, dans leur cou, glisse des roses blanches.
Donc, un jour de soleil, en se donnant la main,
Lucette et Jan suivaient ensemble un vieux chemin.
Comme l’oiseau chantant dans le foin des prairies,
L’abeille bourdonnant le long des closeries
Et le ruisseau qui jase au gré de son parcours,
Il faut que les enfants se tiennent des discours
Mystérieux et lents,-quand ce qu’ils ont à dire
Tiendrait dans une larme ou bien dans un sourire !
Ainsi Lucette et Jan, entre les noisetiers,
Mêlaient leur bavardage aux rumeurs des sentiers,
Admirant les moissons sans en chercher les causes ;
Ainsi Lucette et Jan jasaient de toutes choses,
Enivrés tous les deux de jeunesse et d’été ;
Penseurs peu soucieux de la réalité,
Ils se laissaient aller aux mirages du rêve,
Et, n’imaginant point que l’existence est brève,
Il disaient, pleins d’audace : « Oh ! quand nous serons grands ! »
Songes de voyageurs, désirs de conquérants,
Dans les petits cerveaux s’en viennent à la ronde
Et les jeunes esprits s’emparent du vieux monde.
« Bientôt, s’écriait Jan, je serai matelot ;
La pêche sera bonne et je vendrai mon lot
Pour acheter un brick ! - Je serai capitaine…
J’irai chercher fortune à la rive lointaine
Qu’on dit être là-bas, derrière l’horizon,
Et quand je reviendrai dans ma pauvre maison,
O Lucette, j’aurai des sous plein ma ceinture !
Hissant les pavillons en haut de la mâture,
Alors j’inviterai pour fêter mon retour
Les parents, les voisins, les amis d’alentour,
Et toi, bien entendu, tu seras de la fête.
Ah ! mais oui, j’ai beaucoup de projets dans la tête !
Le prêtre, au catéchisme, a dit que ce qu’on veut,
Ce qu’on veut fermement, ô Lucette, on le peut :
Eh bien, je veux encore un trois-mâts plein de voiles,
Dont les fanaux, le soir, sembleront des étoiles ;
Et, comme un souvenir du pays bien aimé
Où fleurit la bruyère à chaque nouveau mai,
Sa coque sera verte avec un liston rose.
Si le bon Dieu bénit nos souhaits, - et si j’ose,
J’aurai d’autres trois-mâts, d’autres bricks… Je ferai
Des voyages sans nombre et je rapporterai
Plus d’argent dans mes mains et plus d’or dans mes poches
Qu’il ne faut de métal pour fondre un cent de cloches ;
Et tu seras ma femme… Ah ! ce sera flatteur,
Lucette, d’épouser Monsieur Jan, l’armateur !
Je te ferai cadeau, retiens bien ma promesse,
D’une croix toute neuve et d’un livre de messe,
Et quand nous serons vieux, je vendrai mes bateaux
Pour avoir des labours, des bois et des châteaux.
Pour avoir… »
Mais voici qu’au travers du feuillage
La mer, où des canaux sommeillaient au mouillage,
Apparut scintillante et prolongeant les cieux.
Et l’enfant, tout à coup, devint silencieux,
Car autour des récifs battus par la marée
Les vagues se brisaient en poussière nacrée,
Formant ces blancs remous que les marins bretons,
Bergers de l’Océan, appellent des moutons.
Jan, dans les flots lointains, sentit sombrer sa joie :
« A quoi bon m’enrichir, fit-il, si je me noie ? »
Mais Lucette ayant foi dans son rêve charmant,
Lucette l’embrassa… puis, très naïvement,
Répondit, en pensant à sa belle croix neuve :
« S’il t’arrive malheur, moi je serai ta veuve ! »
***
Ce texte a paru dans La revue de France et Samedi Revue réunies en 1890 (je ne possède malheureusement plus les références complètes de cette publication).
Voici quelques liens concernant cet auteur.
Biographie :
Dans Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Eug%C3%A8ne_Le_Mou%C3%ABl
Et sur wikimanche : https://www.wikimanche.fr/Eug%C3%A8ne_Le_Mou%C3%ABl
La notice de l’Académie Française le concernant : http://www.academie-francaise.fr/node/15205
Autres sites : https://cherbourg.maville.com/actu/actudet_-villedieu-les-poeles.-eugene-le-mouel-litterateur-et-affichiste-sourdin_dep-3706005_actu.Htm
Œuvres :
Sur BnF : https://data.bnf.fr/fr/12738100/eugene_le_mouel/
Dont les poèmes de Fleurs de Blé Noir numérisé : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k200948k
Sur Wikisource : https://fr.wikisource.org/wiki/Auteur:Eug%C3%A8ne_Le_Mou%C3%ABl
Sur short édition un poème : https://short-edition.com/fr/classique/eugene-le-mouel/a-la-sainte-martyre-et-vierge
Sur Toute la poésie et poésie webnet, le même poème : http://www.toutelapoesie.com/poemes.html/poesie/a-la-sainte-martyre-et-vierge
https://poesie.webnet.fr/lesgrandsclassiques/Poemes/eug%C3%A8ne_le_mou%C3%ABl
Des illustrations de Le Mouel : http://www.topfferiana.fr/category/dessinateurs/le-mouel/
Et : https://www.2dgalleries.com/art/le-mouel-le-petard-ou-les-mechants-larbins-21826
Une curiosité à propos d’un de ses titres : Une pension en aérobus : https://archeosf.blogspot.com/2012/07/eugene-le-mouel-une-pension-en-aerobus.html
***