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31 mars 2020 2 31 /03 /mars /2020 23:48

 

Vielles et cornemuses en chœur

Retentissent dans la vallée.

Le vent porte sur la hauteur

Les joyeux bruits de l’Assemblée[1].

On ne voit par les sentiers verts

Que fillettes aux coiffes blanches

Et garçons rayonnants et fiers

                Dans leurs habits des dimanches.

 

On danse à l’abri des tilleuls,

En face de la vieille église :

-En avant les cavaliers seuls !-

Crie un vielleur à barbe grise ;

Et, tandis que sur les tréteaux

L’orchestre s’essouffle et s’enroue,

La contredanse sans repos

                Se dénoue et se renoue.

 

Une auberge sous les noyers

Se dresse , bourdonnante et pleine,

Là sont venus les métayers

Louer pâtres et gens de peine.

A flots coule le vin vermeil,

Le meilleur vin de l’hôtelière.

On voit scintiller le soleil

                Des rubis dans chaque verre.

 

Les gars qui veulent se gager

Pour la saison ou pour l’année,

Vigneron, faucheur ou berger,

Moissonneur, homme de journée,

Passent tous, souriants et forts,

Devant la porte au large ouverte ;

Tous à leurs feutres aux grands bords

                Ont mis une branche verte.

 

Cet emblème parle pour eux ;

Il dit, ce frais brin de feuillage :

« Voyez, j’ai des bras vigoureux,

Je suis plein de cœur à l’ouvrage.

J’ai quitté mon toit ce matin ;

Ma mère, avec une caresse,

Ma mère m’a mis dans la main

                Un écu, mince richesse.

 

« Maintenant, qui veut me nourrir ?

Qui veut me prendre en sa demeure ?

Je fais serment de le servir

Le jour et la nuit, à toute heure.

J’irai surveiller ses pastours

Et battre son blé dans la grange ;

Je ferai ses foins, ses labours,

                Sa moisson et sa vendange… »

 

Puis, quand les gages sont donnés,

Ils s’en reviennent à la danse.

Sonnez, cornemuses, sonnez :

Toi, vielleur, marque la cadence !

Avec leur danseuse au côté,

Ils tournent et sautent sans cesse ;

O dernier jour de liberté,            

             On te boit avec ivresse !

 

Aujourd’hui, c’est l’air imprégné

D’amour, l’air natal du village ;

Mais demain c’est le pain gagné

A la sueur de son visage.

Ce soir encor, tout est plaisir ;

Mais demain, il faudra connaître

L’escalier si roide à gravir

                Le dur escalier du maître !

 

                               ***

 

Ce texte a paru dans La revue de France et Samedi Revue réunies en 1890 (je ne possède malheureusement plus les références complètes de cette publication).

 

Cette page complète un article précédent dans lequel se trouvent indiqués quelques liens concernant cet auteur : http://poetesinconnus.over-blog.com/2020/03/les-charbonniers-claude-adhemar-andre-theuriet-1833-1907.html

 

                               ***

 

[1] Note de la Revue de France : Fête de village en Touraine où l’on vient louer les domestiques.

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